Les céréales dans l'alimentation de l'Antiquité et du haut Moyen-Age
Quelles étaient les céréales cultivées et consommées en Europe du Nord et de l'Ouest durant l'Antiquité et le Haut Moyen-Âge ?
Pour l'Antiquité en Gaule, Pomponius Mela, géographe latin du Ier siècle, note que « [la Gaule] était fertile en blés et en fourrage », (De Chorographia, III, 2, 1)
Strabon le confirme : « la Gaule produit une grande quantité de froment, de millet, de glands, et nourrit toute espèce de troupeaux » (Géographie universelle, IV, 1, 2)
Pour l'époque viking, nous sommes renseignés sur les céréales utilisées grâce aux découvertes des archéologues. Des restes de grains de céréales (généralement celles qui ont été brûlées ou carbonisées) ou de pain se retrouvent dans des sites Vikings (Birka par exemple).
L'orge est la céréale la plus commune en Suède et au Danemark.
En Norvège, l'orge et l'avoine étaient très cultivées, ainsi qu'en Islande jusque vers 1150, car le climat y était encore favorable.
Le seigle a commencé à être cultivé en Finlande, dans l'est de la Suède et au Danemark entre 1000 et 1200, mais la production n'a réellement eu de l'importance qu'à la fin du Moyen Age.
Le riz n'a été importé d'Italie qu'à partir du bas Moyen-Age.
Le millet et le sarrasin étaient également consommés.
Voici la liste des céréales retrouvées par les archéologues pour les IX et Xè siècles de l'âge viking :
- Jorvík [York], Danelaw [Angleterre] : Avoine, blé, seigle, orge
- Birka, Suède (Ingrédients trouvés dans les pains) Seigle, blé, épeautre, avoine, orge, engrain, graines de lin, pois
- Oseberg, Norvège : Avoine, blé
- Dublin, Irlande : Blé, avoine, orge ,seigle
La culture et la récolte des céréales
Durant l'Antiquité et le Moyen-Âge, la méthode de récolte reste généralement la même. Coupées à l'aide d'une faucille, les céréales sont ensuite rassemblées en fagots, avant d'être battues pour récupérer les grains.
Dès l'âge du fer, les celtes sont connus pour exporter leurs céréales. Ils conservent les grains dans des silos souterrains, et ont vraisemblablement une méthode particulière pour récupérer les grains de blé :
"les celtes (...) étaient tellement doués pour cultiver le sol qu'ils exportaient du grain dans de nombreuses parties d'Europe. En Bretagne, ils construisirent des silos souterrains pour le stockage du grain. Les celtes travaillaient le blé en mettant le feu aux épis, puis en éteignant le feu quand le son [l'enveloppe du grain] était brulé"Cambridge world history of food, Kenneth F. Kiple et Kriemhild Conee Ornelas, Cambridge university press : Cambridge, 2000, volume 2, p. 1217-8.
Pour l'âge viking on a retrouvé du seigle d'automne, ce qui prouve un système de rotation des cultures au début de l'âge viking dans le sud de la Scandinavie. Il est possible qu'un système triennal ait été utilisé avec du seigle la première année (car le seigle s'accommode bien d'un champ juste retourné), de l'orge la seconde année (qui préfère un fumier bien décomposé), et une jachère la troisième.
La farine
Un élément à noter : la taille des grains a varié. Les grains sont beaucoup plus petits de nos jours qu'à l'époque car ils sont sélectionnés pour passer dans les machines qui récoltent. L'engrain, par exemple, était deux fois plus gros qu'aujourd'hui.
Le grain devait être moulu pour en faire de la farine, et donc du pain et des bouillies. Pline, dans son Histoire naturelle souligne que la farine gauloise, recherchée pour sa blancheur, est très avantageuse et donne quatre livres de pain de plus par boisseau que toutes les autres farines (XVIII, 9, 88).
Il est possible que les celtes aient cuit le blé avant de le réduire en farine :
"le blé était vanné |c'est-à-dire tamisé pour être nettoyé] et cuit, puis réduit en farine dans des meules en pierre" Cambridge world history of food, Kenneth F. Kiple et Kriemhild Conee Ornelas, Cambridge university press : Cambridge, 2000, volume 2, p. 1217-8.
Selon les endroits, la meule de la Préhistoire a continué d'être employée. C'est une meule très simple, dormante, c'est-à-dire qui ne bouge pas, et qui est utilisée avec un broyeur.
A partir du Vè siècle av JC apparait la meule rotative. C'est elle qui sera principalement utilisée durant l'âge viking. Elle est constituée d'une pierre plate, fixe, surmontée d'une autre pierre. Celle du dessus, mobile, est tournée grâce à une poignée fixée sur le bord, et elle est percée au milieu pour pouvoir y verser le grain à moudre. Il fallait la tourner dans un sens, puis dans l'autre.
Tourner une telle meule était un travail laborieux, presque toujours confié aux "thralls" (esclaves). Le fait de moudre le grain cependant n'est jamais mentionné dans les sagas ou documents historiques de l'âge viking, même s'il y a des légendes concernant des personnes utilisant la meule. Ce sont alors des femmes esclaves comme dans le poème eddique Grottasöngr (Jochens, p. 127) :
Nv erv komnar til konvngs hvsa Arrivèrent alors dans la grande halle du roi
framvisar tvær Fenia oc Menia les deux soeurs Fenia et Menia, bien connues,
þær 'ro at Froþa Friþleifs sonar asservies par Froþa, le fils de Friþleif
máttkar meyiar at mani hafþar. ces valeureuses soeurs étaient retenues comme esclaves
Þær at lvðri leiddar vorv Il ordonnait à ces jeunes filles de travailler au moulin
oc griotz gria gangs of beiddv; Leur tâche était de tourner la pierre grise
het hann hvarigri hvild ne yndi, il ne permettait jamais le retard dans leur travail
aðr hann heyrþi hliom ambatta Et il entendait sans cesse la chanson des esclaves
A la maison, il fallait moudre tous les jours pour être sûr d'avoir assez de farine pour toute la famille. Si l'on avait une très grande quantité à moudre, on pouvait alors faire appel à un meunier. Les pierres des grands moulins pouvaient faire jusqu'à 1m20 de diamètre, tandis que les meules utilisées à la maison faisaient entre 40 et 60 cm. Quand elles étaient trop usées, ou cassées, elles étaient réutilisées comme matériau de construction (murs, seuils).
Les céréales n'étaient pas exclusivement utilisées. La farine pouvait également contenir des noix, des pois, parfois même de l'écorce d'arbre. La couche interne de l'écorce de bouleau, séchée et moulue produit une farine au goût sucré et très nutritive.
Le pain
Avant même l'Antiquité, on a retrouvé du pain datant du Néolithique tardif au lac de Bienne en Suisse. Il était constitué d'une fine farine d'orge et de blé.
Comme déjà indiqué dans la partie sur la farine, c'est Pline, dans son Histoire naturelle (XVIII), qui nous indique la qualité de la farine gauloise, qui donne quatre livres de pain de plus par boisseau que toutes les autres farines (XVIII, 9, 88). Il attribue la légèreté du pain à l'emploi de la mousse de la bière de blé comme levure (XVIII, 6, 68).
Le millet servait également à l'alimentation sous forme de pain (XVIII, 26).
Pâte et levures
Pour faire le pain, on mélange la farine à de l'eau. Il faut ensuite des levures, qui peuvent être sauvages. A l'âge de fer, on utilise aussi celles que l'on trouve sur la peau du raisin ou du sureau. On peut également rajouter à la pâte à pain du vin ou de la bière fermentée, comme nous le confirme Pline :
"quand ces céréales de Gaule et d'Espagne, dont nous avons parlé, sont vouées à la fabrication de bière, l'écume qui se forme à la surface lors du procédé est gardée pour le levain, et c'est la raison pour laquelle ces peuples ont un pain plus léger que les autres" (XVIII, 68)
A l'époque viking, c'est la même chose. Il n'est pas sûr que les vikings aient cultivé de la levure, mais ils utilisaient sans aucune doute des levures sauvages, des agents de levage comme le babeurre, et les levures restantes d'un brassage de bière. Ils utilisaient aussi la méthode du levain : il fallait laisser de la farine et de l'eau fermenter quelques jours, ou tout simplement conserver une portion de pâte de la fournée précédente.
Ces levures ou levain entraînent la fermentation qui va permettre au pain de lever, s'il est laissé au chaud. C'est la cuisson qui tue les levures et met ainsi fin au processus.
Le pétrissage
La pâte était pétrie dans un récipient en bois, appelé pétrin. Il était fait à partir de bois fendu. Certains sont tellement grands, qu'ils ont pu être utilisés également pour mettre des défunts, ou pour servir d'auge aux animaux.
Pour pétrir, il fallait s'agenouiller ou s'asseoir par terre, avec un bout du pétrin entre les genoux, et l'autre bout par terre. On pouvait de cette manière utiliser le poids du corps pour pétrir, ce qui facilitait la tâche. A l'inverse, il est possible que les plus grands récipients aient eu un support, ou qu'ils aient été placés sur un banc ou une table pour être à hauteur de taille.
Composition du pain
En Scandinavie, à l'époque viking, les pains sont de manière générale composés d'au moins deux céréales différentes, avec pratiquement toujours de l'orge.
La proportion de céréales utilisées dans les pains correspond à peu près à la proportion dans laquelle elles étaient cultivées.
Les fouilles de Birka suggèrent que les pains les plus communs étaient un mélange d'orge et d'une sorte de blé, mais ils pouvait aussi contenir d'autres grains comme de l'avoine, des graines de lin et même des pois.
Le seigle était utilisé principalement pour le pain. Des sources littéraires indiquent que l'avoine était considérée comme nourriture pour les animaux mais une trouvaille de Hamar en Norvège montre que l'avoine était aussi utilisée à l'occasion pour faire du pain d'avoine, et se retrouvait probablement aussi dans les bouillies.
La majorité des récoltes d'orge était utilisée pour faire de la bière, mais le reste était utilisé pour le pain et d'autres plats (bouillies, gruaux, etc...). L'orge décortiquée était utilisée pour faire des pains plats et fins, cuits sur feu ouvert. L'avoine semble avoir été préférée pour le pain dans la Suède de l'Ouest, mais au Danemark, elle semble avoir été réservée pour les animaux.
On pense que le seigle devint la principale céréale du pain dans le sud de la Scandinavie durant l'ère viking, mais il a fallu environ 500 ans de plus pour que le seigle parvienne au centre de la Suède, et il n'a jamais remplacé l'orge dans le Nord.
Le pain pouvait être aromatisé avec des noix, des graines, des herbes ou du fromage. Il pouvait également être utilisé pour renfermer du poisson ou de la viande afin de les conserver extrêmement tendres à la cuisson.
Cuisson du pain
La pâte est placée dans un four en terre pour être cuite. Elle peut également être déposée sur une plaque de métal (photo ci-contre) ou une grosse pierre plate à mettre dans les braises pour faire un pain plat. Les pains de Birka (Suède) particulièrement ont sans doute été cuits sur une plaque en fer.
Chez les vikings, le pain était produit en grande quantité et variété, à la fois plat et levé, mais apparemment les fours à pain n'étaient pas très répandus, et certains chercheurs pensent que le pain levé et cuit au four s'est développé suite à l'expansion de la culture du seigle en Scandinavie du Sud.
Forme du pain
On a retrouvé du pain dans plusieurs sites viking, surtout en Suède (Birka), mais aussi au Danemark. Ce sont des pains petits et fins qui ressemblent plutôt à du biscuit, certains sont troués au centre, ce qui permettait de les accrocher à des perches ou poutres, ce qui était toujours le cas en Finlande au XIXè siècle, comme le montre la photo ci-contre.
La place du pain dans le régime alimentaire
Selon Athénée, dans les Deipnosophistes :
Posidonius le Stoïcien, qui a rédigé par écrit nombre d'usages et de lois de différentes nations, dit, dans les histoires qu'il a composées, conformément aux principes de sa secte :« Voici comment les Celtes servent à manger. (…) Le manger consiste en très peu de pain, et beaucoup de viandes bouillies et rôties sur la braise, ou à la broche » (IV, 151-152)
Mais au contraire selon le sixième livre de Phylarque, on sert à table, chez les Galates, un grand nombre de pains rompus, et dans des marmites, des viandes.
Pour l'ère viking, l'Islande est un cas à part, à cause de la difficulté d'y faire pousser des céréales (surtout à cause des changements climatiques à partir du bas Moyen-Age). Le pain n'y a jamais été une base de l'alimentation. Il était même si rare que les gens en rêvaient, et qu'un homme avait reçu son surnom Smjör-hringr (anneau de beurre), de sa nourriture préférée qui était du pain et du beurre. Etant donné qu'il y avait peu de pain et de fours, le pain plat était la forme préférée dans le nord, mais même sous cette forme, il n'a jamais eu une place importante dans le régime islandais. A la place on utilisait la farine diluée pour faire des gruaux et des bouillies (Jochens, women in old norse society, p. 127).
Des boulangers ?
Chaque famille faisait son propre pain, mais pour ceux qui avaient les moyens, il existait des boulangers professionnels, en tout cas en Angleterre viking.
C'est ce que semble nous indiquer le nom Baxter, qui vient directement du mot anglo-saxon "baecestre", qui est le féminin de "baker", nom de métier pour le boulanger.
Les bouillies
Comme nous l'avons vu en parlant du pain, il y avait peu de fours dans le nord, et les gruaux et bouillies étaient une manière très courante de manger les céréales (Jochens, women in old norse society, p. 127).
L'avoine était utilisée pour cela dans l'ouest de la Suède, alors qu'on trouve plutôt de l'orge au Danemark. Ces bouillies pouvaient composer la base de l'alimentation dans les fermes. Les grains étaient cuits simplement à l'eau, ou pour des repas plus importants dans du lait, avec du beurre.
Toujours d'après Jenny Jochens, ces bouillies, gruaux, porridges constituaient probablement une part importante de la nourriture emportée lors des voyages sur l'océan, et les personnes âgées, qui avaient moins de dents, en faisaient une grande consommation.