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La viande dans l'alimentation de l'Antiquité et du haut Moyen-Âge

Nous avons une bonne description des repas en Gaule grâce à Posidonius (135-51 avant JC). La viande y est omniprésente : "La nourriture consiste en (...) beaucoup de viandes bouillies et rôties sur la braise, ou à la broche" (Athénée, les Deipnosophistes, IV, 151-152).
Diodore de Sicile en souligne également l'importance : "A  côté d'eux sont des foyers flamboyants, avec des chaudières et des broches garnies de quartiers entiers de viande. On honore les braves en leur offrant les meilleurs morceaux de viande. C'est ainsi que le poète nous montre Ajax honoré par ses compagnons, après qu'il eut seul combattu et vaincu Hector : « Le roi fait honneur à Ajax du dos entier de la victime. »" (Bibliothèque historique, V, 28).
De même, le géographe grec Strabon (né en 64 ou 63 av JC et mort en 21 après) exploite dans sa Géographie universelle, les données du géographe Artémidore qui écrivait vers 100 avant notre ère : « leur nourriture est très abondante ; elle comporte du lait et des viandes variées » (géographie universelle, IV, 4, 3)

La viande est vraiment la nourriture par excellence, comme nous l'indique le sixième livre de Phylarque, également cité par Athénée : on sert à table, chez les Galates (...), dans des marmites, des viandes dont personne ne mange avant d'avoir observé si le roi a touché de ce qu'on a présenté. Le même auteur dit, dans son troisième livre, qu'Ariamne, personnage des plus riches parmi les Galates, fit annoncer qu'il les traiterait tous pendant une année. Or, voici comment il s'y prit pour l'exécuter : [150e] il établit, par intervalles, des logements dans les lieux les plus avantageux du pays pour les routes (...) : c'était là que devait être reçue la multitude qui affluerait des villes et des bourgades. Il y plaça de grandes marmites pour toutes sortes de viandes, les ayant fait faire, un an avant de devoir tenir sa promesse, par des ouvriers qu'il avait appelés d'autres villes.  [150f] On y tua tous les jours nombre de taureaux, de porcs, de moutons, et autres bestiaux.

On considère généralement qu'avec le Néolithique se développe l'agriculture, mais cependant, des recherches récentes nuancent cet état de fait (article First farmers with no taste for grains de Mike Richards, doctorant en archéologie à Oxford). L'étude d'os (étude des isotopes stables) de 23 individus du Néolithique (entre 4100 et 2000 av JC) venant de dix sites différents d'Angleterre centrale ou du sud suggère un régime principalement carné, ou composé de dérivés animaux, tel que le lait et le fromage, avec en tout cas très peu de plantes. Ont également été testés les os d'hommes de l'âge du fer, et de sites romano-bretons et c'est là seulement que l'on retrouve une part plus importante de nourriture végétale, conforme à l'expansion de l'agriculture des céréales à cette période.

En Islande, l'élevage était la source principale de nourriture, ainsi que la première occupation des habitants.

Quelles étaient les viandes consommées en Europe du Nord et de l'Ouest durant l'Antiquité et le haut Moyen-Âge ?

Les animaux domestiques

 Tous les animaux domestiques étaient consommés : boeufs, moutons, agneaux, chèvres et porcs. Les bovins étaient prédominants, comme nous l'indiquent les vestiges d'étables, qui nous permettent d'estimer le nombre d'animaux. On a retrouvé des fermes viking, dont les étables à vache pouvaient contenir entre 80 et 100 bêtes.
En Islande également c'est le boeuf qui est le principal animal de ferme, jusqu'au XIIè siècle, où le climat qui se dégradait lui était moins favorable. C'est alors le mouton qui a pris le dessus.

Les cochons étaient les seuls animaux à n'être élevés que pour la viande. Le mouton donnait également de la laine, la vache du lait, du cuir, de la corne. Les os étaient également utilisés. L'intérêt des cochons était leurs nombreuses portées. Strabon nous confirme que les Gaulois en faisaient grande consommation : "Ils se nourrissent de lait, de viandes de diverses sortes, mais surtout de viande de porc, fraîche ou salée. Les porcs ici n'étant jamais rentrés acquièrent une taille, une vigueur et une vitesse si grandes, qu'il y a du danger à s'en approcher quand on n'en est pas connu et qu'un loup lui-même courrait de grands risques à le faire" (géographie universelle, IV, 4, 3).

De manière générale, dans le monde viking, c'est le boeuf et le porc qui étaient le plus consommés, à égalité en milieu rural. Dans les milieux urbains ou dans les monastères, la proportion est différente : 60% de boeuf, 20% de porc et 20% de mouton.

C'est à partir du VIIIè siècle avant Jésus-Christ que les Celtes, installés dans les îles britanniques, ajoutèrent les poules, canards et oies aux autres animaux domestiqués. C'est aussi à cette époque qu'ils défrichèrent les forêts pour faire des pâtures (Cambridge World History of Food, Kenneth F. Kiple and Kriemhild Conee Ornelas [Cambridge University Press:Cambridge] 2000, Volume Two (p. 1217-8)).

Les anciens Scandinaves élevaient également poules, canards et oies, à la fois pour la viande et pour les oeufs. Ces animaux permettaient d'avoir de la viande fraîche toute l'année.

Les Vikings ont probablement emmené une partie de leur bétail dans les îles britanniques. Ainsi l'actuelle race de vaches aberdeen-angus dériverait d'un cheptel originel viking (Traditional Scottish Cookery, Theodora Fitzgibbon [Fontana:Suffolk] 1980 (p. vii)).

 Voici la liste des viandes retrouvées par les archéologues pour les IX et Xè siècles de l'âge viking :

  • Jorvík [York], Danelaw [Angleterre] : cerf, boeuf, mouton/agneau, chèvre, porc; poule, oie, canard, pluvier doré et argenté, tétras noir, pigeon, vanneau.
  • Hedeby, Danemark : porc, boeuf, mouton/chèvre ; poulet, canard, oie
  • Oseberg, Norvège : boeuf
  • Jarlshof, îles Shetland : boeuf, agneau/mouton, porc, probablement de la venaison et de la baleine
  • Dublin, Irlande : porc, boeuf, mouton/agneau, lièvre ; poulet, oie sauvage

La chasse

La chasse, ainsi que la consommation de gibier, étaient pratiquées durant l'âge viking, mais la quantité de viande sauvage consommée était bien inférieure à la viande domestique, comme nous le prouvent les os retrouvés dans les cuisines dans la majeure partie de la Scandinavie. Cependant dans les régions les plus nordiques (Norrland en Suède, Troms en Finlande, et Nordland en Norvège), le gibier représentait une plus grande part (voire la plus grande part) de la viande consommée.

Cervidés, élans, rennes et lièvres étaient les animaux les plus chassés pour la viande. On a retrouvé des preuves de consommation de viande de cerf à York (Danelaw) et de venaison à Jarlshöf (Shetlands). Toujours à York, la volaille sauvage chassée était principalement des pluviers (dorés ou argentés), des tétras noirs, des pigeons et des vanneaux. On a aussi retrouvé des traces d'oie sauvage à Dublin.
Ours, sangliers et écureuils ont également toujours été chassés. L'écureuil était l'animal le plus chassé pour sa fourrure, mais il a dû très souvent être mangé aussi.
Très au nord, le phoque et la baleine étaient aussi chassés.

Le cheval

 Les Celtes refusaient de manger les chevaux sauvages et préférèrent les apprivoiser pour les monter (Cambridge World History of Food, Kenneth F. Kiple and Kriemhild Conee Ornelas [Cambridge University Press:Cambridge] 2000, Volume Two (p. 1217-8)).

En revanche, manger la viande de cheval (rôtie à la broche) ne posait pas de problèmes aux Vikings, puisqu'il leur arrivait de les sacrifier à leurs dieux. Du reste, à l'époque chrétienne, consommer de la viande de cheval devint un signe de paganisme, puisque c'était interdit aux chrétiens.

Nourrir les bêtes

Pomponius Mela, géographe latin du Ier siècle, note que « [la Gaule] était fertile en blés et en fourrage » (Pomponius Mela, De Chorographia, III, 2, 1)

Strabon le confirme : "la Gaule produit une grande quantité de froment, de millet, de glands, et nourrit toute espèce de troupeaux" (Strabon, Géographie universelle, IV, 1, 2)

De manière générale, les cochons étaient emmenés dans la forêt pour se nourrir de glands, surtout dans le sud de la Scandinavie, où on pouvait les y laisser toute l'année. Mais les cochons se nourrissent aussi des déchets alimentaires : c'était donc des animaux pratiques à élever dans les premières villes.

L'abattage

Il y a une saison de la viande, car l'abattage était fait principalement à la fin de la période de pâture. Les fermiers devaient alors évaluer leur stock de paille pour savoir combien d'animaux pourraient passer l'hiver. Les plus forts et les plus productifs étaient alors conservés, tandis que les autres étaient abattus. On abattait les boeufs et les moutons en octobre, et les cochons en novembre/décembre. Novembre était surnommé le "mois du sang" par les scandinaves.

Au Danemark, environ la moitié du bétail était abattue avant l'âge de trois et demi, ce qui permettait à la plupart des vaches d'avoir au moins un veau, et donc de produire à la fois du lait et de la viande. Mais par l'archéologie, nous savons également qu'un certain nombre de vaches vivait jusqu'à 10 ans : elles étaient donc utilisées uniquement pour la production de lait.

Conservation et exportation

 C'est le sel qui va permettre de conserver la viande pour l'hiver, notamment la viande de porc, particulièrement appréciée des Celtes. En Gaule, les jambons étaient très réputés, jusqu'à Rome où ils étaient exportés : "la grande quantité de bétail, surtout de moutons et de porcs, qu'ils possèdent, explique comment ils peuvent approvisionner si abondamment de saies et de salaisons, non seulement Rome, mais la plupart des autres marchés de l'Italie". (Strabon, géographie universelle, IV, 4, 3). D'après Polybe et Varron, cités par Athénée « le jambon gaulois est le meilleur » (Athénée, les Deipnosophistes, XIV, 657, e)

Nous avons des recettes italiennes, datant de la seconde moitié du IIè siècle avant JC. Elles nous apprennent que les jambons devaient être recouverts de sel et mariner dans cette saumure pendant 17 jours. Ils étaient ensuite mis à sécher pendant deux jours, puis frottés avec de l'huile et du vinaigre, et enfin mis à fumer pendant deux autres jours. 

C'est à l'âge du fer que se développe le travail du sel sur les côtes britanniques. Nous ignorons si de tels jambons étaient confectionnées dans les îles britanniques mais selon C. Anne Wilson (Food and drink in Britain, p. 68), c'est plus que vraisemblable, et sans doute selon les mêmes procédés que les recettes italiennes, sauf en ce qui concerne l'huile et le vinaigre.

Aujourd'hui, le mouton salé et fumé reste un plat traditionnel à la fois en Ecosse et en Scandinavie, sans doute un héritage de la présence viking.

Pendant l'Antiquité, c'est le boeuf des îles britanniques qui était réputé et exporté sur le continent (Cambridge World History of Food, Kenneth F. Kiple and Kriemhild Conee Ornelas [Cambridge University Press:Cambridge] 2000, Volume Two (p. 1217-8)).
Au Haut Moyen-Âge, ce sont les boeufs du Jutland qui sont considérés comme d'excellente qualité, et ils étaient du reste produits pour l'exportation par les fermiers danois, qui les vendaient à l'âge de quatre ou cinq ans.

La place de la viande dans le régime alimentaire

A l'époque viking, la viande n'était pas réservée aux riches : dans la saga de Rig, un plat de veau bouilli est servi dans la maison d'un petit fermier.

De manière générale, que ce soit durant l'Antiquité ou le haut  Moyen-Âge, la viande était accessible à tous les niveaux de la société. Même les plus pauvres pouvaient s'arranger pour avoir un peu de gibier ou de viande.

 

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